Philosopher avec les enfants leur permet d’acquérir un esprit critique, une autonomie à la réflexion pour leur éviter toute manipulation et les préparer à prendre en main leur propre destin. Ils apprennent à penser de manière rigoureuse, avec impartialité, objectivité et respect des autres. Le manque d’estime de soi, le manque de dialogue, mais aussi un ego surdimensionné provoquent des incivilités, voire des comportements violents. L’enfant doit très tôt prendre conscience que ses actes et ses paroles sont en lien avec son être propre ; pour ce faire, il faut lui apprendre à prendre en charge ses émotions tout en l’invitant à la raison.

Pratique Philosophique

 

Les Ateliers philosophiques en maternelle

Les compétences langagières lors des ateliers philosophiques

 

Isabelle Millon a démarré des ateliers philosophiques dans plusieurs classes de l’école de la Goutte d’Or à Paris en octobre 2006. Une trentaine de séances ont eu lieu au cours de l’année scolaire. Elle s’est rendue, entre autres, dans la classe de grande section d’Anne Sade-Bayol (qui est par la suite devenue directrice dans une autre école). Peu à peu, un travail de collaboration s’est installé avec une animation alternée entre les deux auteurs du présent article. Les ateliers ont repris à la rentrée suivante avec des élèves qui avaient bénéficié des ateliers philosophiques alors qu’ils étaient en moyenne section. Cet article est le fruit de cette collaboration. La méthode utilisée est inspirée d’Oscar Brenifier, Docteur en Philosophie et auteur de nombreux ouvrages sur la pratique philosophique, méthode basée sur la maïeutique socratique.

Pour les enfants, apprendre à penser ensemble est très important car cela s’adresse directement au rapport que l’être humain entretient avec le monde qui l’entoure et avec lui-même. C’est voir « l’autre » comme un possible interlocuteur et non comme une menace. À l’école de la Goutte d’Or, 99% des enfants sont issus de l’immigration, en particulier du continent africain. Pour ces enfants, partagés entre deux cultures, deux langues (langue parentale et langue française), le principal est d’abord l’apprentissage du langage, essentiel à l’école maternelle, puisqu’il va les aider à dialoguer avec les autres, enfants et enseignants. Or, les ateliers philosophiques sont au cœur de la problématique du langage, par les compétences et les attitudes qu’ils visent. 


La pensée permet d’être avec les autres :
La parole permet de prendre sa place dans un débat.

La parole n’est pas simplement un outil pour communiquer avec les autres, elle est là pour engager un dialogue avec autrui.

Par un travail sur les attitudes, l’enfant est capable de trouver et prendre sa place dans le débat et le travail collectif :
– se mettre en position d’écoute.
– Oser demander et prendre la parole
– Lever le doigt afin de ne pas couper la parole des autres, pour ne pas empêcher l’autre de parler.
– Ne pas lever le doigt quand quelqu’un parle : si quelqu’un lève le doigt quand quelqu’un parle, lui demander pourquoi il lève le doigt à ce moment-là. Les élèves, même les plus jeunes, doivent comprendre l’intérêt de ces règles exigeantes. Ce n’est pas seulement « je lève le doigt pour ne pas gêner » mais  « je lève le doigt parce que j’ai grandi » «  Si je veux que l’on m’écoute, je dois être capable d’écouter l’autre ». Écouter l’autre permet d’apprendre sur l’autre, exprime un intérêt pour sa parole, montre qu’on le respecte. L’élève apprend à s’oublier lui-même pour aller vers l’autre, pour accueillir sa parole, il apprend à penser avec les autres.
La capacité d’écouter l’autre est une attitude essentielle en maternelle. Cela permet à l’enfant de se décentrer, de s’intéresser à ce que disent ses camarades.
Deuxième attitude, comprendre que la parole a du sens « Je prends la parole pour dire quelque chose » La parole c’est dire ce que l’on ressent, donner une idée, exprimer un avis, argumenter (dire pourquoi)… Bref, c’est penser par soi-même, c’est le « je » qui parle.
C’est accepter l’autre comme un autre que moi… Il peut penser comme moi ou différemment de moi, il peut éprouver des sentiments, des émotions, qui peuvent être différents des miens. Il est un miroir, il est à la fois comme moi et différent de moi


La pensée se construit collectivement :
La parole permet d’apprendre avec les autres.


Un enfant, dès qu’il peut parler, est capable de s’approprier l’objet de sa recherche, d’apprendre et de comprendre avec les autres. Il est également capable d’analyser les propos qu’il entend :
– identifier la question posée par l’animateur.
– Répéter, reformuler la question et expliquer ce que l’on cherche, sur quoi on réfléchit. Dans un premier temps, cela montre que l’enfant est là, présent avec les autres. Dans un second temps, cela montre qu’il a compris ce qu’on lui demande.
– Répondre à la question posée.
– Donner une idée. Repérer une idée. Dire une idée différente. Une question importante à poser : « est-ce que c’est pareil ou pas pareil que ce que vient de dire ton(ta) camarade ? »
– Écouter l’autre, être capable de répéter ce qu’il dit. Pouvoir dire ce que l’on a compris du propos.
– Dire si l’on est d’accord ou pas d’accord en donnant un argument.
– Pouvoir dire «  je ne sais pas ». Prendre conscience de ses incompréhensions, de ce que l’on ne peut pas dire, de son impossibilité ou de ses difficultés à formuler sa pensée. Peu à peu, le « je ne sais pas » n’est plus une attitude d’évitement, il prend un véritable sens.
– Demander de l’aide, car c’est prendre conscience que je ne sais plus, que je n’ai pas compris. C’est travailler sur l’erreur et les difficultés. C’est aussi sortir de soi pour aller vers l’autre. 


La pensée se construit individuellement 

Prendre conscience que sa parole a du sens. « Elle me permet de penser, d’apprendre. Elle me donne du pouvoir pour comprendre le monde qui m’entoure et agir sur lui. »
« Ce que je dis est important, ce n’est pas l’autre qui sait pour moi. » La parole s’engage, elle exprime du sens, elle permet de prendre conscience de son propre contenu, conscience qui est le concept-clé du travail philosophique pour Platon.

Être capable de dire « je »…, s’approprier le « je ». Le « je » me permet de devenir un sujet singulier et pensant, le « je » m’engage. Ce n’est pas le « je » qui exprime l’anecdotique « j’ai des nouvelles chaussures » mais celui qui permet d’exprimer une pensée, une idée, un avis…
Le « Je » est utilisé aussi bien dans le travail de forme (par exemple : l’écoute) que dans celui de fond (les idées).
Je suis d’accord/ Je ne suis pas d’accord- Je sais /je ne sais pas.-Je pense que.. 

Exemple de discussion autour de « Je suis d’accord/Je ne suis pas d’accord » : 
Papamamadou: Dieu a menti.
Isabelle : Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
Papamamadou : d’habitude, c’est lui qui veille sur les gens qui mentent, et là c’est lui qui ment.
Isabelle : Qui n’est pas d’accord avec Papamamadou ?
Chaoutar : Je ne suis pas d’accord. Ce n’est pas vrai que Dieu ment, car c’est juste une histoire.
Isabelle : Qui a une autre idée ?
Shiraz : le personnage s’est peut-être trompé.
Melvyn : Moi, je suis d’accord avec Papamamadou. C’est Dieu qui ment dans l’histoire. 

À partir de la grande section, l’appropriation du je, le passage du collectif à l’être singulier est important. Dans une famille de 4-5 enfants, voire plus (ce qu’on retrouve beaucoup chez les enfants de cette école), dire « je » montre que j’existe de plein droit, que je suis un être singulier.
L’enjeu est de prendre conscience que ma parole a du sens, pas uniquement pour moi mais aussi pour les autres. Car les autres peuvent s’exprimer à mon sujet, ils peuvent avoir un avis sur mon propos.

Pour ce faire, il s’agit de :
– demander la parole à bon escient en respectant le thème du débat, en respectant les règles de prise de parole.
– Pouvoir répéter les paroles d’un camarade avant d’émettre une nouvelle idée.
– Comprendre le propos d’autrui et porter un avis argumenté. Être d’accord/ Pas d’accord, pas par rapport à soi mais par rapport à l’autre.
– Se rendre compte de sa difficulté à exprimer une idée et oser demander de l’aide. 

Cette construction s’est élaborée tout au long des ateliers. Le « je » est venu presque de lui-même, avec la prise de parole singulière, avec le « je » qui engage : ce que JE dis est important, ma parole est prise en compte, elle n’est plus là pour ne dire que des mots, mais pour exprimer quelque chose, pour produire du sens. Dans les premières séances, le travail sur la forme prend beaucoup de temps ; au début, on apprend aussi à positionner son corps afin de pouvoir penser. Par exemple, poser ses mains à plat sur ses cuisses pour ne pas jouer avec divers objets, se tenir bien droit pour se mettre en position d’écoute. Peu à peu, les choses s’installent d’elles-mêmes.


Les supports pédagogiques
 

On a travaillé à partir de différents supports.
Progression de la PS à la GS : au début, il s’agit d’apprendre à construire la pensée à partir d’objets qu’on peut toucher et voir.
— « Pareil/Pas pareil» : apprendre à distinguer ce qui est semblable et différent.
Par exemple, en PS/MS, prendre deux objets (deux peluches différentes), demander de les nommer, puis demander de les comparer : qu’est-ce qui est pareil ? qu’est-ce qui n’est pas pareil ?
En GS, quelques exercices formels permettent aux élèves d’exprimer des idées différentes, en travaillant le « Pareil/pas pareil » et le « d’accord/pas d’accord »
Exemple d’exercices :
– En quoi est-ce pareil et différent ? Un policier et un pompier. Un marchand et un voleur. Jouer et travailler. Nager et marcher. Un enfant blanc et un enfant noir… (À nous le français CE1, Sedrap, exercices créés par Oscar Brenifier).
— Des histoires courtes abordant des concepts moraux : le mensonge/la vérité, l’amour/la haine, obéir/désobéir… tirées entre autres des histoires de Nasreddin Hodja et de M’Bolo, le lièvre d’Afrique (collection « Sagesses et malices », éditions Albin Michel). Ces histoires sont travaillées en deux temps : en premier, on travaille la compréhension : « De quoi parle l’histoire ? », le jugement : « Quel personnage avez-vous préféré ? », l’argumentation : Pourquoi ? , la conceptualisation : Il est comment ? Que fait-il ? ». En un second temps, on peut poser des questions plus ouvertes où l’on interroge davantage certaines problématiques : « Faut-il toujours être gentil avec ses copains ? Dois-tu toujours obéir ? Dieu peut-il mentir ? » Les élèves doivent articuler leurs choix, les argumenter et les comparer avec ceux de leurs camarades.
— Des questions générales : Grandir, c’est quoi ? C’est quoi être méchant ? Pourquoi on mange ? D’où viens-tu ?…
Ce travail nous a semblé plus difficile, aussi bien d’ailleurs pour les élèves que pour nous : les questions étaient trop abstraites pour eux, ça ne leur parlait pas vraiment, ils n’arrivaient pas à donner des idées, à argumenter leurs idées.
Par exemple on a travaillé sur le concept de peur en MS. Ils ont une représentation de ce que c’est, mais ils restent sur leurs émotions, repliés sur eux-mêmes. Le but de l’atelier est alors de mettre des mots sur ces émotions, de prendre de la distance par rapport au ressenti. Il est aussi utile et nécessaire d’utiliser des histoires ou de la musique.

De manière générale, il faut rester simple, faire réfléchir en utilisant des questions simples. Il faut aussi savoir choisir les histoires utilisées. L’album de Yacouba, sur le courage, utilisé en fin de premier trimestre avec les GS s’est avéré trop compliqué pour les enfants, il y a trop d’éléments divers dans cette histoire, alors que les histoires de Nasreddin Hodja, plutôt courtes et simplement structurées, sont plus facilement utilisables.

Pour conclure…

Au début, ce qui est difficile pour l’enseignant, c’est de passer de sa position traditionnelle de « savant » à celui d’animateur. Le maître est en général très attaché à la connaissance, à la maîtrise de la langue (l’un des objectifs en Grande Section), il est très soucieux de l’erreur. Par exemple, en littérature ou en mathématiques, l’enseignant a une attente précise, il veut des réponses justes. Or, dans l’atelier-philo, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses a priori, il y a DES réponses, même si parfois elles peuvent initialement sembler absurdes, que la classe sera invitée à examiner de manière critique. Cela offre une liberté à l’enfant, qui osera, à un moment donné, prendre la parole, en particulier parce que l’enseignant aura posé un autre regard sur lui, plus attentif et plus généreux. C’est pour cela qu’il trouvera sa place dans le débat.

Finalement, les différences majeures entre l’atelier-philo et l’enseignement classique, « scolaire », sont les suivantes. Il est demandé à l’enfant de porter un jugement sur ses propres paroles et sur celles de ses camarades. Ceci implique qu’il est capable de reformuler le discours de l’autre, ainsi que son propre discours. Pour cela, le « pareil/pas pareil » est un outil incontournable car il permet de comparer les deux discours, celui des camarades et le sien. Dès lors l’élève se met à l’épreuve de sa propre pensée et de celle des autres. Il envisage, un instant, les enjeux et les conséquences de son propre discours. Il apprend à reconnaître un problème, à le voir comme quelque chose d’objectif, voire de positif. Il prend conscience du vrai et du faux, car dans cet exercice il n’est pas déterminé de façon arbitraire, mais de façon indépendante et autonome. Il prend conscience de son identité d’être pensant : « Je peux penser que je peux penser. » Nous avons là une mise à l’épreuve de l’être singulier, nous sommes dans la construction philosophique, nous assistons à l’émergence du philosopher.

Les Ateliers-philo à l’école primaire*

« Autrui est à la fois mon semblable et différent. Il est à la fois un autre moi et un autre que moi. Il est ce que je ne suis pas. Il est à la fois le plus proche et le plus lointain. » Levinas

Pour les enfants, qu’ils vivent dans des conditions précaires ou dans de bonnes conditions, apprendre à penser ensemble est très important et difficile, car cela s’adresse directement au rapport que l’être humain entretient avec le monde qui l’entoure et avec lui-même. C’est voir « l’autre » comme un possible interlocuteur et non comme une menace. Tout geste posé, toute parole prononcée ne sont pas anodins. La parole est destinée à être construite, à se construire, et non à soulager sa pensée. Philosopher, c’est penser la pensée, c’est arracher l’opinion à elle-même en la mettant à l’épreuve : on prend une idée comme elle est, pour ce qu’elle est, et on la travaille, comme un sculpteur avec la glaise, on la sort de son statut d’évidence, de ses certitudes, on la confronte pour arriver à une pensée construite et élaborée. On apprend à assumer, qui on est, ce que l’on est, ce que l’on dit : s’il y a acceptation de soi, il y a acceptation de l’autre. On accepte aussi de se tromper, on apprend à ne pas craindre l’erreur. « La vérité suppose l’erreur », nous dit le philosophe allemand Hegel (1770-1831).

C’est Matthew Lipman qui a été l’instigateur de la philosophie pour enfants aux Etats-Unis dans les années 70. Inspiré du philosophe pragmatiste John Dewey, il voit l’enfant comme un chercheur et un expérimentateur. Il est très critique à l’égard de l’école qu’il accuse de rendre les enfants passifs. Il pointe la faute sur la formation donnée aux enseignants, qu’il juge trop conservatrice et traditionnelle. Depuis une vingtaine d’années, en France et dans beaucoup d’autres pays, sur tous les continents, des enseignants ont introduit le débat philosophique avec les enfants, s’inspirant de traditions philosophiques diverses.

Il est un obstacle récurrent qui empêche de comprendre la nature et les enjeux de l’exercice philosophique, lorsqu’il prend la forme d’une discussion. Celui qui consiste à penser que philosopher revient à s’exprimer, à communiquer ou à défendre une thèse. Si cela est en effet possible, je souhaite plutôt travailler l’idée d’un discours philosophique comme un discours qui se saisit lui-même, qui se voit lui-même, qui s’élabore de manière consciente et déterminée. Philosopher ne consiste pas uniquement à penser, mais enjoint de penser la pensée, de prendre la pensée pour objet de pensée. Cela signifie de convoquer des idées, tout en étant conscient (ou en tentant de prendre conscience) de la nature, des implications et des conséquences des idées que nous exprimons : nos idées, mais aussi celles de nos interlocuteurs.

La philosophie est généralement vue comme une discipline scolaire, enseignée uniquement en France en classe de terminale. Cela n’est pas le cas, par exemple, en Espagne ou au Niger où la philosophie est enseignée dès la classe de seconde ou de première. Mais philosophe-t-on en terminale ? Apprend-on à philosopher ou apprend-on l’histoire de la philosophie ? La philosophie est avant tout, selon les Grecs anciens, l’amour de la sagesse. Pierre Hadot, dans son ouvrage Qu’est-ce que la philosophie antique ?, paru aux éditions Gallimard en 1995, nous dit que le philosophe n’est jamais seul, mais en communauté. La manière de vivre la philosophie à son origine avait pour but la sagesse, l’éthique, la métaphysique, mais également l’étude des mathématiques, de la littérature et de l’histoire. On n’apprenait pas uniquement, on pensait ce que l’on apprenait. Or, c’est quelque chose qu’on ne fait pas à l’école, ou très rarement.

Pour Platon, une vie qui n’est pas examinée ne mérite pas d’être vécue. Mais il dit aussi qu’on ne peut philosopher qu’à un âge mûr, à l’âge de raison (40 ans à l’époque, qui correspondait à l’âge de vieillesse) ; Montaigne et Nietzche, plus tardifs, étaient favorables à un apprentissage précoce de la réflexion. Alors, qu’en est-il ? Peut-on philosopher avec les enfants, même les tout-petits ? À quoi sert un atelier de philosophie avec les enfants ? La philosophie est-elle uniquement une activité intellectuelle, ou est-elle aussi un outil qui nous permet de mieux vivre, d’être plus humain ? La philosophie est-elle seulement un discours ou peut-elle avoir une pratique ? 
Selon Oscar Brenifier, philosophe franco-canadien avec lequel je travaille depuis plus de vingt ans, une pratique peut être définie comme une activité qui confronte une théorie donnée à une matérialité, la matérialité du philosopher étant 1) la totalité du monde, incluant l’existence humaine, à travers les multiples représentations que nous en avons ; 2) l’altérité, l’autre, notre semblable ; 3) la cohérence de notre discours. Philosopher consiste, ou consisterait donc à éveiller l’esprit de l’enfant et à l’initier à une démarche. Faire de la philosophie avec les enfants permet de développer leur potentiel réflexif, c’est aussi un moyen de développer leurs capacités cognitives, favoriser leur autonomie (je pense, donc je suis), de les éveiller à la citoyenneté active. Ils apprennent à devenir des sujets actifs et non passifs.

L’atelier philo est un moyen de répondre à l’échec scolaire. L’école n’est pas là pour apprendre à penser par soi-même, elle est là pour enseigner un certain nombre de matières. Un bon élève est quelqu’un qui apprend ses leçons, qui les connaît, qui se tient bien en classe. Un élève dissipé est encore de nos jours considéré comme un mauvais élève, un élève perturbateur. Dans les ateliers philo, j’ai remarqué à plusieurs reprises que ce ne sont pas nécessairement les bons élèves qui participent le plus, mais souvent, ceux qui ont des difficultés d’apprentissage. C’est encore plus frappant dans les quartiers dits défavorisés ou à problèmes, où je travaille principalement. L’atelier philo est un moyen de réintégrer l’enfant dans le système scolaire, voire dans la société. Certains élèves sont en difficulté parce qu’ils n’arrivent pas à apprendre, parce qu’ils n’ont pas acquis toutes les compétences qui leur sont demandées, mais aussi parce qu’ils sont empêchés de penser. Il s’agit de les inviter à se réapproprier la pensée.

Prenons le cas des enfants issus de l’immigration, qu’elle soit des pays d’Afrique, d’Asie, ou d’Europe de l’Est : à la maison ils parlent la langue maternelle, à l’école ils parlent le français. Ils sont partagés entre deux langues, deux cultures. Le langage va les aider à dialoguer avec les autres, enfants et adultes. Car les ateliers philo sont au cœur de la problématique du langage, par les attitudes et les compétences qu’ils visent.


I/ LES TROIS ASPECTS DE L’ATELIER-PHILO AVEC LES ENFANTS  

Aspect social : être et penser dans le groupe
La pensée qui permet d’être avec les autres

 Souvent, le jeune a du mal à trouver sa place ; l’atelier philo lui permet de prendre en compte la singularité de sa parole. Il lui apporte une liberté de pensée, une confiance en lui-même qui l’amènera progressivement à se décentrer et à tenir compte de l’autre. C’est aussi une manière de le responsabiliser par rapport à ce qu’il dit, à ce qu’il fait. C’est se rendre compte qu’à côté de lui il y en a d’autres qui pensent et qui peuvent vivre autrement : c’est apprendre à considérer l’autre. La parole permet de prendre sa place dans un débat, elle n’est pas simplement là pour communiquer, elle est là pour engager un dialogue avec autrui. Par un travail sur les attitudes, l’enfant est capable de trouver et prendre sa place dans le débat et le travail collectif : se mettre en position d’écoute, ne pas lever le doigt quand quelqu’un parle, s’intéresser à la pensée de l’autre. Écouter autrui, que ce soit un autre élève ou l’enseignant, montre un intérêt pour sa parole, même si on ne l’aime pas, même si on n’est pas d’accord avec lui, et valorise tout un chacun. Cela permet aussi de mieux le comprendre, d’être plus attentif. Il apprend à s’oublier lui-même pour aller vers l’autre, pour accueillir sa parole, il apprend à penser avec l’autre, cet autre qui devient alors un miroir, qui est à la fois lui-même et un autre que lui-même.

Aspect intellectuel : penser par soi-même, mais avec les autres
La pensée qui se construit avec les autres, collectivement 

Un enfant, dès qu’il peut parler, est capable de s’approprier l’objet de sa recherche, d’apprendre et de comprendre avec les autres. Il est également capable d’analyser les propos qu’il entend :
— identifier la question posée par l’animateur,
— répéter la question avant d’y répondre
— proposer des hypothèses,
— donner une idée différente,
— apprendre à dire  » je ne sais pas « , pas comme moyen d’évitement, mais comme prise de conscience d’un problème, d’une difficulté, demander de l’aide à ses camarades,
— reconnaître ses erreurs, les travailler,
— accepter sa propre confusion, afin de la travailler.
L’enfant apprend ainsi à être, à exister par la parole, qui devient alors outil de pensée. Il apprend à penser et non à émettre des idées en profusion.

Aspect existentiel : être soi-même
La pensée qui se construit individuellement 

Singulariser et universaliser sa pensée, ses idées. Prendre conscience de soi, de ses idées, de son comportement, que sa parole a du sens ; pour un enfant, surtout s’il est en difficulté, c’est essentiel car ça permet de lui redonner confiance : « ce que je dis est important, ma parole est prise en compte, l’autre ne sait pas mieux que moi ». La conscience est un concept-clé du travail philosophique chez Platon. Le « JE » devient alors sujet singulier et pensant, il engage.
Dans une famille de 4-5 enfants, voire plus, ce qu’on retrouve régulièrement dans des familles issues du continent africain, dire « JE » montre que j’existe de plein droit, que je suis un être singulier.

Généralement, après quelques séances, les enfants, qu’ils aient 4 ans ou 18 ans, apprennent à mieux se concentrer, à être plus patients, plus calmes, à vaincre leur timidité, à être moins violents à l’égard de leurs camarades. Ils n’ont plus peur de dire des mauvaises réponses, ils ne craignent plus le regard de l’autre, ils n’ont plus peur qu’un enfant se moque d’eux.
L’animateur doit, pour ce faire, instaurer une relation de confiance. Si l’enfant est coincé, s’il n’y arrive pas, il peut lui dire : « tu ne sais pas maintenant, on reverra tout à l’heure, ça viendra. » Cela adoucit le drame de l’échec, car il n’y a pas d’aboutissement attendu, ni d’avantage quelconque, ce qui n’est pas le cas avec l’enseignant qui veut généralement une réponse parfaite et immédiate.

II/ LE CONTENU D’UN ATELIER-PHILO AVEC LES ENFANTS 

On peut travailler autour d’une question, exemples : Qu’est-ce qu’un ami ?,  Pourquoi la religion existe ? Pourquoi on meurt ? Filles/Garçons, quelles différences ? A-t-on besoin des autres ? ; d’un livre, d’une histoire, d’un conte. On peut travailler l’éthique par les dilemmes moraux. Je demande aux enfants de faire un choix, par exemple : dans l’alternative suivante, que décides-tu en priorité ? obéir à tes parents ou décider par toi-même ? Agir pour le bien du groupe ou pour ton propre bien ? Accomplir quelque chose ou prendre le temps de vivre ? ; Accepter le monde tel qu’il est ou essayer de le transformer ? etc.
On peut aussi travailler à partir d’exercices. Par exemple, je vais demander aux enfants de produire un argument pour et/ou un argument contre pour la proposition suivante : Est-on obligé de dire la vérité lorsqu’on a fait une bêtise ?. Ou je vais leur demander de trouver une objection à l’affirmation suivante : les gens sont gentils. Ou encore je vais leur demander de produire des concepts : Quel est le sentiment qui anime quelqu’un qui n’ose pas parler en public ? etc.
Avec des tout-petits, on peut prendre deux objets et demander aux enfants de les nommer et les comparer (ex : une pomme rouge et un maïs, deux peluches…), travailler à partir d’une histoire courte et simple sur la peur, Dieu… 

Au début, ce qui est difficile pour l’enseignant, c’est de passer de sa position traditionnelle de « savant » à celui d’animateur, terme qui parfois choque. Le maître est en général très attaché à la connaissance, à la maîtrise de la langue, il est très soucieux de l’erreur. Par exemple, en littérature ou en mathématiques, l’enseignant a une attente précise, il veut des réponses justes. Or, dans l’atelier philo, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses a priori, il y a DES réponses, même si parfois elles peuvent initialement sembler absurdes, que la classe sera néanmoins invitée à examiner de manière critique. Cela offre une liberté à l’enfant, qui osera, à un moment donné, prendre la parole, en particulier parce que l’enseignant aura posé un autre regard sur lui, plus attentif et plus généreux. L’enfant se sentira respecté et accepté tel qu’il est, pour ce qu’il est.
Finalement, les différences majeures entre l’atelier philo et l’enseignement classique, « scolaire », sont les suivantes. Il est demandé à l’enfant de porter un jugement sur ses propres paroles et sur celles de ses camarades. Ceci implique qu’il est capable de reformuler le discours de l’autre, ainsi que son propre discours. Pour cela, le « pareil/pas pareil » est un outil incontournable car il permet de comparer les deux discours, celui des camarades et le sien. Dès lors l’élève se met à l’épreuve de sa propre pensée et de celle des autres. Il envisage, un instant, les enjeux et les conséquences de son propre discours. Il apprend à reconnaître un problème, à le voir comme quelque chose d’objectif, voire de positif. Il prend conscience du vrai et du faux, car dans cet exercice il n’est pas déterminé de façon arbitraire, mais de façon indépendante et autonome. Il prend conscience de son identité d’être pensant : « Je peux penser que je peux penser. » Nous avons là une mise à l’épreuve de l’être singulier, nous sommes dans la construction philosophique, nous assistons à l’émergence du philosopher.


III/ POURQUOI FAIRE DES ATELIERS-PHILO AVEC LES ENFANTS ?
 

Ce qui ressort de mon expérience, et de celle des personnes avec qui je travaille (animateurs, enseignants…), c’est que l’atelier philosophique apporte quelque chose de différent aux enfants, il est utile et nécessaire, qu’ils aiment ou n’aiment pas. Philosopher avec des enfants leur permet d’acquérir un esprit critique, une autonomie à la réflexion pour leur éviter toute manipulation et les préparer à prendre en main leur propre destin ; ils apprennent à penser de manière rigoureuse, avec impartialité, objectivité et respect des autres. Le manque d’estime de soi, le manque de dialogue, mais aussi un ego surdimensionné provoquent à l’école, comme à la maison, des comportements violents, des incivilités, des attitudes désagréables (insolence, mépris…). L’enfant doit très tôt prendre conscience que ses actes et ses paroles sont en lien avec son être propre, il doit apprendre à grandir. Pour ce faire, il faut lui apprendre à être autonome, responsable et conscient.

En fin de projet avec les enfants, nous faisons en général un bilan. Voici le type de commentaires qui ressortent régulièrement. Je cite les élèves, ici entre 7 ans et 18 ans :

— Je vais être plus attentif aux autres.
— J’ai appris à bien me tenir.
— L’atelier-philo m’a aidé à écouter et à attendre.
— Je me contrôle et je vais arrêter de bouger.
— J’ai appris qu’on peut vivre ensemble.
— L’atelier-philo a changé la façon de prendre la parole.
— J’ai bien aimé attendre.
— J’ai appris qu’il fallait partager, que la violence ça sert à rien.
— Je vais pouvoir mieux écouter la maîtresse et je vais pouvoir laisser parler les autres.
— Très vite, on comprend qu’il faut se jeter à l’eau, j’sais pas n’est pas accepté ; c’est bien sûr embarrassant mais au bout du compte, nous en concluons qu’il faut le vivre car c’est une expérience humaine d’échanges, on écoute la personne, on oublie l’élève. Nous avons découvert des aspects de la personnalité d’élèves que l’on croise au collège et c’est surprenant !
— On apprécie : il n’y a pas de réponses fausses, on peut s’évader sur le thème et aller n’importe où, bref on s’est senti libres même si la liberté demande des efforts.
— Ce que l’atelier n’est pas, un débat dans lequel on essaie de prouver aux autres qu’ils ont tort.
— J’ai appris que j’avais le choix, que je pouvais choisir de dire oui ou de dire non.
— Au 4e atelier, la même difficulté persiste ; ça énerve car on n’a jamais une réponse fixe dans l’atelier, mais encore une fois, on découvre de nouvelles idées, chacun a la parole, ça nous aide à construire nos idées, on ose penser !
— C’est dur pour la première fois, cela a un côté agaçant car la philosophe nous pousse à aller jusqu’au bout de notre point de vue, il faut s’expliquer et assumer ce que l’on dit. On ne sait pas où nous mène la discussion.
— La séance globale de philo m’a vraiment plu : ça m’a appris à réfléchir avant de parler, de me poser des questions, de m’exprimer sur ce que je pense.
— Les séances de philo nous poussent à réfléchir, à être patient, à nous écouter entre nous et ne pas s’interrompre.
— Ça m’a permis de prendre confiance en moi.
— Ça nous apprend à nous poser des questions, à mieux nous comporter avec la population. 

Je conclurai par cette phrase de Samuel, un enfant du voyage : « J’aime l’atelier philo, je ne sais pas pourquoi j’aime ça, mais ce que je sais, c’est que j’aime ça. »

 

* Cet article est paru dans « Les enfants au carré ? Une prévention qui ne tourne pas rond » – Collectif, éditions Erès, 2011

Expériences d’ateliers-philo au collège

 

PREMIÈRE EXPÉRIENCE

Au cours de l’hiver dernier, on m’appelle pour animer des ateliers-philo dans un collège situé en banlieue parisienne. Je dois animer plusieurs séances par classe. Séances difficiles ! Interruption permanente d’élèves, foisonnement d’insultes et mots de tous genres. Travail sur les attitudes uniquement.
Miroir : « ennuyant, non-respect pour les autres », surtout on se trouve ennuyant, on ne se respecte pas. Renvoi terrible à soi, insolence, certaine arrogance cachant peurs, mal être, besoin d’exister.
« On a les hommes politiques qu’on mérite », a dit le Général de Gaulle.
Ici, au vu du personnel enseignant que j’ai rencontré, j’ai pensé qu’ils ont peut-être les élèves qu’ils méritent.
Première classe : le professeur est absent ; la directrice a amené les élèves et est repartie aussitôt (c’est pourtant elle avec qui j’avais discuté longuement, lui expliquant en quoi consistait mon travail, qui m’avait « invitée »). Deuxième classe : le professeur fait carrément autre chose pendant l’atelier. Dès la fin de la séance, il s’en va avec sa classe, sans un mot.
Troisième classe : impuissance du professeur, une dame d’un certain âge qui ressemble à l’une de ces dames qu’on voit dans la rue ou à la sortie des écoles, poussant une voiture d’enfant. « On n’a pas le choix » me dit-elle sur un ton plaintif, après que j’ai sorti un élève. « L’école est obligatoire, nous aussi on tente de les faire réfléchir ; ce n’est pas facile tous les jours. » Cette dame m’a fait penser à l’employée du magasin Casino que j’avais vue précédemment, qui me répétait qu’elle n’avait pas le choix et devait suivre la procédure.
Quatrième classe (2e séance) : j’avais trouvé cette classe facile la dernière fois (classe réputée la plus difficile), un « bon » travail avait été fait, l’ambiance était agréable ; deux professeurs étaient avec moi, avec une attitude d’écoute, d’attention, d’intérêt. Cette fois, un professeur (absent la dernière fois), qui a commencé à se fâcher et à être menaçant avant que je démarre. Je lui ai demandé – en privé – de me laisser faire, et d’observer ce qui se passait. Vexé, il a passé son temps à jouer avec son téléphone, avec un air ennuyé. Il ressemblait aux élèves. Les élèves, voyant cela, ont commencé à faire n’importe quoi, et la séance a été pénible.
A la fin, il est parti comme il était venu.
La directrice, qui devait assister à des séances, n’est jamais venue… évidemment ! A la fin des quatre séances, n’ayant vu personne, je suis partie. Je dois y retourner prochainement.

Des jours comme ça où je me dis que je devrais changer de métier.
Lire, écrire, méditer… en écoutant de la musique ! Peut-être est-il temps que je me retire de ce monde… Fantasme comme un autre…

Bien sûr, je suis rapidement rattrapée par le principe de réalité : je dois partir dans une autre banlieue dans moins d’une heure…

Je suis retournée pour la quatrième et dernière fois dans ce collège. Avec la classe de SEGPA, j’ai commencé à travailler – uniquement avec ceux qui le souhaitaient, la majorité – vers la fin. Apprendre à s’écouter sans réagir, sans s’insulter, sans se frapper. Rien que ça i La professeur m’a dit avant de partir : « je suis certaine qu’ils auront appris quelque chose avec vous, je vous remercie. »
La deuxième classe : élèves qui n’étaient pas venus la dernière fois, le professeur ayant oublié ! Le professeur qui les accompagnait avait des trucs à voir avec eux concernant le planning, ce qui a pris au moins dix minutes. Ensuite, elle s’est assise. Les élèves avaient des problèmes de comportement, j’ai dû en exclure un rapidement – qu’elle a « collé » tout de suite, et d’autres étaient « limite » (comportement, insolence) ; mais bon, on a quand même pu travailler un peu, et quelques idées ont émergé. A la fin de la séance, le professeur a appelé quelques élèves-garçons, leur a demandé leur cahier de correspondance et les a sanctionnés. Puis elle est partie en me disant qu’elle ne tolérait pas ce genre d’attitude. Je n’ai pas répondu ! Faire réfléchir les élèves sur eux-mêmes n’est visiblement pas son souci.
Quant à la dernière classe, le professeur était absent, et seulement quelques élèves sont venus, par peur d’être punis, les autres sont partis (ils n’avaient plus cours après). J’ai appelé quelqu’un – la directrice n’était pas là ; je ne l’ai d’ailleurs pas vue du tout – qui est venu ; je lui ai dit que je refusais de faire cours dans ces conditions et suis partie ! Cette expérience m’en a rappelé une autre ! Ça donne à réfléchir…


SECONDE EXPÉRIENCE
 

Un autre collège de banlieue où je travaille depuis de nombreuses années. L’impression d’y trouver enfin ma place. Cela aura pris du temps ! Pourquoi ? On peut toujours trouver des raisons, mais peu importe. Là, il se passe quelque chose avec les élèves. Quoi ? Là encore, peu importe. Ces ateliers ressemblent davantage à des cours de pratique philosophique qu’à des ateliers classiques. On n’est pas dans le schéma classique maître-élève, mais on n’est pas non plus, comme dans l’atelier-philo traditionnel, dans un cercle où tout le monde se voit. il y a un enseignement avec une centration sur l’apprenant ; ce qui prime, ce n’est pas le processus de transmission, mais le processus d’apprentissage, c’est-à-dire la mise en œuvre de capacités pour atteindre une compétence. Le travail de groupe est essentiel, il y a des règles de base à respecter : lever de main pour parler, baisser de main quand quelqu’un parle, choisir en priorité un camarade qui n’a pas parlé, solliciter les élèves qui ne lèvent pas la main, il y a des devoirs à faire à chaque fois, des devoirs à rendre sur feuille – cadre donc plus scolaire -, et en même temps il y a une construction de la réflexion ensemble.
Une élève, ayant quelques difficultés, avait oublié de faire son travail. Les élèves ont été sollicités pour proposer une sanction – je parle de « sanction » et non de « punition » qui correspond pour eux à une mise en garde ou à une, voire deux, heure(s) de colle. Plusieurs ont levé la main : « faire un travail supplémentaire pour la prochaine fois », « répondre à une question en donnant cinq arguments », « donner cinq objections à une thèse donnée ». L’élève en question a participé à ce processus. Finalement, il a été décidé qu’elle aurait une semaine pour se mettre à jour dans son travail et devrait me l’apporter la prochaine fois que je me rendrais au collège (dans une semaine) au lieu de la prochaine séance, qui aura lieu exceptionnellement dans un mois et non dans deux semaines. Cela permet à l’élève-apprenant de sortir de son état passif et consommateur pour devenir actif et acteur ; certains élèves s’ennuieront toujours, n’étant pas ou peu intéressés par autrui. Cependant, peu à peu, un « quelque chose » se passe. En arrivant en classe, plusieurs élèves s’assoient par eux-mêmes (au lieu d’attendre que je, en tant que « professeur » leur donne l’autorisation), et se mettent en position de « méditation » : le dos droit (ou à peu près), les mains posées sur la table, les yeux mi-clos ou fermés. On – soit un élève de lui-même, soit moi – éteint la lumière pendant quelques instants. Après quatre mois, les cours se passent tranquillement. Les élèves apprennent à s’écouter pour apprendre à se parler. Ceux qui ont des facilités apprennent à proposer leur aide à ceux qui ont des difficultés, que ce soit leurs amis ou non. Ils apprennent à apprendre, et surtout ils apprennent à penser…